Discussion du rapport du Dr S. Tisseron
Alain BIRON. 2ème secteur de pédo-psychiatrie de l’ Essonne.
Chers amis,
Lorsque Georges Gachnochi m’a très amicalement invité à discuter aujourd’hui votre exposé, Serge Tisseron, il n’en connaissait pas le sujet précis et j’ai accepté tout de suite par ce que, connaissant vos travaux j’ anticipais là un moment de grand intérêt. Et je n’ai pas été déçu.
Plus tard, quand j’ai su de quoi il serait question, il fut évident que mon ignorance serait au rendez-vous.
Ignorance quant au contenu, comme cela est le cas presque toujours quand nous écoutons en position clinique. Alors, au delà de notre ignorance, ce que nous écoutons vient à la rencontre de ce cadre psychique que nous travaillons depuis notre formation psychanalytique et de ces références d’écoute qui s’y développent au gré de notre expérience et de nos études.
Ignorant quant au contenu je vous au écouté ainsi que les associations d’idées que vos propos faisaient se lever. Mon intérêt fut vif, je vous en remercie.
Ainsi de cette nouvelle culture du virtuel et des jeux vidéo.
Il y est question de la possibilité d’identités multiples dans une seule personnalité. Ces avatars évoquent ce courant théorique qui voit le Moi comme une condensation qui a à trouver sa place dans le tout de la personnalité psychique. Ces avatars dans les jeux apportent peut être une possibilité nouvelle de figuration de cette nature composite du moi plus puissante que les clivages ordinaires.
Le rêve est le lieu par excellence où le moi-condensation peut se trouver démonté et cela dès son contenu manifeste. Quelles places dans et vis à vis des rêves pour ces avatars et leurs scénarios ? Voici toute une discussion possible.
Cette nouvelle culture implique les dialogues dans le jeu, par exemple avec ce chevalier auquel on s’adresse avec l’attente de ce qu’ il va nous renvoyer . Il apparaît comme une véritable figure de transfert, non incarnée mais pourtant tangible, avec sinon ses effets au moins ses incidences. Quand des parents nous sollicitent pour leur jeune joueur, aurions nous à nous situer comme pour une seconde tranche ?
Le dialogue se déroule aussi avec la machine dans un système essai-erreur gagnant-gagnant où elle se montre bienveillante sans doute bien au delà de nos capacités et de notre patience. Belle concurrence !
La production d’images ( se voir dans l’action ) rappelle cette scène classique de celui qui, placé à sa fenêtre, se regarde passer dans la rue. De la fantaisie amusante on est passé à une réalité perceptible (la vue et l’ouie).
Position d’extériorité ou de surplomb, certes sous condition de passer par l’intermédiaire de la machine, mais rarement réalisée dans la vie sans dispositif technique.
Cette nouvelle culture mobilisait déjà fortement notre intérêt quand vous nous avez montré l’adolescent dans le bac à sable, excusez du peu, dans le « jeu-bac à sable » pour être fidèle à votre propos.
Dans le bac à sable, avec sa grande liberté ludique, le jeu est ce qu’on en fait, servi par l’ ardeur adolescente.
Ainsi de ces jeux où l’on brûle des voitures et qui ont pu avoir un effet préalable à l’acte, si l’on se fie au témoignage de certains incendiaires.
Pour eux on parlerait d’ un moi ouvert sur le ça, avec l’instance critique engourdie par la répétition de l’expérience virtuelle, par la banalisation de la scène. Répétition vécue opérant comme un frayage de l’acte, auquel il n’y aurait plus à passer tant est qu’il est déjà là.
Mais ce jeu, qui est ce qu’on en fait, peut aussi être un lieu d’interaction. Le conflit psychique s’y déroule, comme avec ce personnage, espion, face au dilemme d’avoir à se dévoiler s’il intervient comme le sauveur d’un enfant à la noyade.
La situation d’épreuve projective n’est pas bien loin, mais sans la présentation, modératrice si besoin, du praticien qui la conduit. Le jeu peut-il aller, dans ce qu’il impose comme image en génération spontanée sans l’échappatoire possible d’une opposition à la demande de l’autre, jusqu’à une violence de l’interprétation ?
Comme vous le voyez, cher Serge Tisseron, vous ouvrez avec vos études sur les jeux vidéo des perspectives de questionnement et de discussion qui, elles, n’ont rien de virtuel, où plutôt, si j’ai compris le début de votre propos, qui ont tout de virtuel en tant que l’on parle ainsi de ce qui est en devenir. Encore merci de votre stimulant exposé.